[Portrait] Le plaidoyer dans le monde humanitaire expliqué par Claire Barthélémy

Claire Barthélémy, directrice de cours au Centre des Études Humanitaires de Genève, nous aide à comprendre le plaidoyer dans le monde humanitaire. Quels sont les objectifs du plaidoyer, comment les actions de plaidoyer sont-elles conçues, quels conseils pour être en charge du plaidoyer ? Elle nous livre son expérience sur le plaidoyer, mais aussi son point de vue sur l’aide humanitaire.

Bonjour Claire, pouvez-vous présenter votre parcours professionnel ?

Oui, bien sûr : j’ai fait six ans de mission terrain en tant que manager des programmes humanitaires, et principalement avec Médecins Sans Frontières sur différents terrains, contextes, conflits ou aussi sur des projets plus réguliers. Avant de commencer dans le milieu, j’ai fait un master en Humanitarian Program Management, dont une partie a été faite avec Bioforce en France, et l’autre partieà la Liverpool Tropical Medicine School de Liverpool.

Pour commencer, comment définissez-vous le plaidoyer ?

Je dirais que de manière générale, au-delà de l’aide humanitaire seulement, le plaidoyer c’est l’action de représenter et de défendre les intérêts de personnes et de causes spécifiques. Si on le prend dans le cadre de l’humanitaire : ce serait l’action entreprise par les organisations humanitaires afin de défendre la disponibilité, l’accès et l’acceptation des populations notamment à des services de base de qualité et à leurs droits fondamentaux. Le plaidoyer a un fort lien avec le droit humanitaire international, les droits de l’Homme, mais aussi le droit des réfugiés.

Quels sont les objectifs du plaidoyer dans le secteur de l’humanitaire ?

Je dirais entre trois et quatre objectifs. Le premier est la mise en lumière des crises politiques, sociales, environnementales ou économiques ayant finalement des répercussions humanitaires, vitales pour les populations concernées. Il a aussi la défense du droit des populations à avoir accès à des services de base et à des droits fondamentaux. Il y’a l’influence, par la persuasion ou la pression, des entités étatiques ou non étatiques, internationales, régionales, nationales ou locales, impactant les dynamiques de crises et créant des niveaux de vulnérabilités élevées chez certaines populations. Et, le dernier point, est le droit des acteurs humanitaires à proposer, à offrir, un service pour les populations vulnérables

En général, comment une action de plaidoyer est-elle conçue ?

Habituellement, elle s’intègre dans une stratégie de plaidoyer. Donc la stratégie de plaidoyer va définir des objectifs qui sont notamment les quatre objectifs principaux évoqué juste avant. À l’intérieur de ces objectifs, nous décidons de quel type d’action nous avons finalement envie d’entreprendre. Certaines actions sont la mobilisation ciblée des personnes ou la mobilisation de masse ou la désobéissance civile. Il peut aussi y avoir le lobbying, la dénonciation publique, par exemple, des violations commises par certains acteurs. Il peut aussi y avoir la surveillance des actions en justice, l’information et l’éducation, ou même la recherche.

Il est important de comprendre que le point de départ d’une stratégie de plaidoyer est initié par les opérations (de l’organisation). Mais cependant, toutes ces actions discutées sont, la plupart du temps, organisées par le département de communication de l’organisation, parce qu’il doit mettre en place les stratégies de communication, les plans médias, les positionnements publics, etc.

Pouvez-vous nous partager quelques actions de plaidoyer que vous avez appréciées ?

Il y en a deux qui me viennent en tête. La première campagne s’appelle Sweety, elle a été faite par Terre Des Hommes pour essayer de dénoncer la pornographie en ligne. Pourquoi elle m’a interpellé spécifiquement ? C’est parce qu’il y avait le questionnement du rôle d’une organisation humanitaire et jusqu’où elle peut aller en termes légaux avec cette campagne. En fait, Terre Des Hommes, a poussé jusqu’à devenir un agent de police en participant à l’arrestation de certains pédophiles qui sont en ligne et qui profitent des enfants. Jusqu’où pouvons nous aller en tant qu’acteur humanitaire pour le plaidoyer ?

La deuxième campagne de plaidoyer était intéressante pour montrer les enjeux entre une branche internationale d’une organisation et la branche locale et des partenaires locaux. La campagne abordait la question du VIH, entre une organisation appelée TAC et Médecins Sans Frontières d’Afrique du Sud, qui a participé de manière très étroite à cette campagne. Il y a eu énormément de discussion à l’intérieur de Médecins Sans Frontières sur comment une organisation humanitaire peut se positionner vis-à-vis des droits de l’Homme et sur les enjeux internationaux et nationaux. J’avais trouvé ces deux campagnes vraiment intéressantes.

Pendant que vous parliez, une question m’est venue à l’esprit : la neutralité est un des principes de base de l’aide humanitaire, mais est-ce que le plaidoyer est neutre ?

Alors, c’est très intéressant parce que le plaidoyer n’est pas neutre : on ne peut pas être neutre quand on défend le positionnement des populations. Donc finalement on prend parti pour des populations vis-à-vis d’un gouvernement, d’une entreprise internationale ou des multinationales. On va essayer de rendre le message accessible à diverses audiences pour que les populations puissent faire entendre leur voix. Personnellement, je ne pense pas que le plaidoyer soit neutre.

Y a-t-il des formations à effectuer pour devenir responsable de plaidoyer ?

Je dirais qu’il y a deux métiers sur le plaidoyer : le côté opérationnel et le côté communication. Si on considère l’opérationnel, on a un manager de programme qui va devoir être sensibilisé sur le plaidoyer, même si ce n’est pas forcément lui qui va développer les stratégies de communication et les plans médias. Le Centre des Études Humanitaires de Genève a une formation de deux semaines sur les stratégies de plaidoyer pour les managers de l’humanitaire. Après, si quelqu’un veut réellement devenir responsable de plaidoyer, il existe trois voies : la voie légale avec des études de droit et ensuite une spécialisation dans le plaidoyer. La voie de la communication où il existe des masters en média et stratégie de communication. Et la troisième voie est celle des affaires internationales avec des masters doté d’une spécialisation en plaidoyer comme proposé par le Graduate Institute de Genève ou en Irlande avec le master en Advocacy and Activism.

Comment voyez-vous l’aide humanitaire dans 5 ans ?

Je ne serai peut-être pas la personne la plus optimiste. À moins d’un changement drastique de vision et de fonctionnement, l’humanitaire dans cinq ans je le vois bureaucratique avec un éloignement entre siège et terrain. On a des sièges qui sont de plus en plus gros et avec du personnel qui remet en question le sens de leurs actions. Pourquoi est-ce qu’on fait ce qu’on fait ? Probablement des divergences fondamentales sur des questions telles que la décolonisation de l’aide humanitaire et de la localisation de l’aide. Changer la situation ça passe par des changements de mentalité profonds, de déconstruction de biais inconscients et biais cognitifs qui demande quand même du temps et beaucoup, beaucoup de conscientisation de ses propres actions.

Vous pensez que le plaidoyer, à l’intérieur du secteur humanitaire, peut aider à faire ces changements ?

Oui, je pense justement que l’action de plaidoyer peut aider via différentes activités. On peut trouver de la mobilisation et de l’information, comme de l’éducation. C’est ce qui va permettre justement, petit à petit, cette déconstruction du secteur lui-même et ce changement drastique. Parce que arrivera le moment où il faudra soit que cela change, soit que cela meure (en termes de sens de l’action). Je pense qu’il y toujours un intérêt à faire parler les internationaux et les nationaux, il ne faudrait pas perdre ça… mais il va falloir plus, selon moi, faire de l’accompagnement et faire la place à la population locale.


Crédit photo : Claire Barthélémy
Lien internet école : https://humanitarianstudies.ch
Lien internet campagne « Sweety » : https://www.terredeshommes.nl/en/programs/sweetie
Lien internet campagne VIH de MSF : https://www.msf.fr/communiques-presse/nelson-mandela-soutient-la-campagne-de-msf-pour-ameliorer-l-acces-au-traitement-du-sida-en-afrique-du-sud

About Lisa Merzaghi

Infirmière pédiatrique spécialisée en médecine tropicale et aide humanitaire

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