[Portrait] Anaïs, sauveteur de catastrophes

Anaïs Buglet est infirmière dans un hôpital Rennais, mais aussi sauveteur de catastrophes dans les équipes du Corps Mondial de Secours -USAR. Après le tremblement de terre qui s’est déroulé au Népal en 2015, Anaïs nous raconte le déroulement de sa première mission. Témoignage.

Le 25 avril 2015 à 12h05, un puissant séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter vient de frapper le Népal. Une forte réplique suivra le lendemain. C’est le séisme le plus grave survenu dans ce pays depuis 1934 (plus de 8500 morts). Le Népal est un petit pays enclavé entre le Tibet et la Chine au nord et l’Inde au sud. Cette partie du monde est soumise à une forte sismicité, en raison de la subduction de la plaque indienne sous la plaque eurasiatique, à l’origine de l’élévation de l’Himalaya.

L’attente du départ, un véritable ascenseur émotionnel

Comme lors de toute catastrophe naturelle de grande ampleur, le CMS-USAR active immédiatement sa cellule de veille opérationnelle. Cela consiste dans un premier temps à surveiller l’évolution et à évaluer les besoins en secours, en coordination avec la cellule de crise du Ministère des Affaires Etrangères. Dans un second temps, une fois l’aide internationale demandée par le pays sinistré, vient la prise de contact avec les ambassades, la recherche d’interprètes et de fixeurs (locaux dont le rôle est primordial, qui favorisent le contact avec les autorités, qui mettent à disposition des moyens de transport, et tant d’autres choses).
Puis tout se passe très vite : il s’agit de constituer une équipe d’intervention, tout en cherchant des vols et s’acquittant des formalités administratives. 
De notre côté les sauveteurs, nous devons organiser notre absence, et anticiper les bouleversements qui vont en découler (rendez-vous à décaler, personnes à prévenir, enfants à garder…). 
L’annonce et la préparation d’une mission sont un moment d’effervescence : d’abord de l’excitation mêlée à l’adrénaline, car nous nous entraînons tous pour rester opérationnels et partir, puis aussi parfois le doute, car la confirmation du départ peut être tardive (besoins du pays qui évoluent), voire annulée comme dernièrement en Indonésie.

La mission, une parenthèse de vie

Je pars donc en tant qu’infirmière avec 17 autres sauveteurs (chef de mission, techniciens de catastrophes, infirmiers et médecins).
Avant l’embarquement, nous avons dû malheureusement nous séparer d’un collègue maître-chien qui s’occupera des trois chiens tout juste débarqués sur le tarmac : en effet, nous avons appris que les autorités népalaises refusent désormais la présence de binômes cynotechniques étrangers sur leur territoire.
Pendant le vol, notre chef de mission nous prépare psychologiquement à vivre une parenthèse de vie : les communications avec nos proches ont cessé au moment de l’embarquement, et ne reprendront qu’au retour en France. C’est très important de rentrer dans cette« bulle » que constitue l’équipe, pour être pleinement opérationnel. Quoiqu’il se passe pendant la mission, notre famille, notre métier… tout ce qui participe à notre équilibre nous attend en France.
Le briefing met également l’accent sur le fait que chaque mission est différente avec son lot d’actions/chantiers, mais également avec les imprévus et difficultés voire obstacles rencontrés.

Point de situation à Katmandou

Arrivés sur place c’est le chaos. Comme dans tout séisme, les infrastructures sont détruites, les moyens de communication sont coupés, il n’y a plus d’eau potable, et les vivres viennent à manquer. La population terrifiée vit dehors dans des abris de fortunes qui s’amoncellent dans les espaces verts et le long des voies de circulation. Le risque est persistant, de par les bâtiments qui tiennent encore, qui sont fissurés et menacent un peu plus des’effondrer à chaque réplique (une centaine plus ou moins ressenties durant les dix jours de la mission), mais également avec les fils électriques qui ont été arrachés, ou encore le risque de fuite de gaz. Des zones sont totalement inaccessibles : des alpinistes, des randonneurs sont coincés, blessés, disparus… certains que nous rencontrons, ont réussi à fuir et redescendre par leurs propres moyens, ils décrivent une pluie de roches qui a tout balayé sur son passage.

L’adaptation, une faculté essentielle pour un sauveteur

En temps normal, la mission prioritaire du CMS-USAR, c’est le SAR (Search And Rescue), c’est à dire la recherche et l’extraction de victimes vivantes ou décédées piégées sous les décombres. C’est aussi la sécurisation de zones dangereuses, et le dégagement des voies d’accès afin de permettre un redémarrage des activités et le retour progressif à la vie courante (reprise de l’école…). 
En parallèle, l’équipe médicale a deux rôles : d’un côté la prise en charge des victimes pendant la phase d’extraction, ainsi que les soins dispensés aux populations en mode dégradé (des bâches sont tendues en guise de paravent afin de préserver au maximum l’intimité de chacun).
L’autre fonction de l’équipe médicale, c’est la prise en charge physique et psychologique des sauveteurs, dont l’organisme est mis à rude épreuve (chaleur, effort physique, hypervigilance, stress…), ainsi quel’assistance sanitaire sur chantier : en effet, en cas de blessure, coup de chaleur… l’infirmier (protocolé à cet effet) ou le médecin doit pouvoir intervenir immédiatement.

Ici dans le cadre de la mission Népal, la demande des autorités vis à vis des ONG étrangères était très claire : pas de recherche ni d’extraction de victimes : chaque chantier que l’on nous confiait était étroitement surveillé par l’armée. Outre la patience et la gestion de la frustration, une des qualités essentielles de tout sauveteur en mission, c’est l’adaptation : notre travail a donc consisté pour l’équipe SAR (assistée d’un infirmier) à récupérer des biens dans des habitations instables(nourriture, argent, vêtements, photos…). Cette action étant très risquée en raison d’un possible d’effondrement lors de notre passage, chacun à tour de rôle muni d’un sifflet (infirmier/médecin compris) prend la place de la« sonnette ». La sonnette garantie la sécurité de l’équipe, en guettant le moindre élément qui pourrait tomber, se détacher, surveille qu’un civil ne se trouve pas dans la zone, et reste vigilante par rapport à toute vibration qui signerait une réplique sismique. Ce poste nécessite attention et concentration. En parallèle, notre chef de mission a été sollicité pour effectuer des expertises, et évaluer la solidité de certains bâtiments, temples et écoles.

L’écoute soignante est primordiale, et malgré la barrière de la langue, il est possible de rassurer par des gestes doux, un sourire, un regard bienveillant.

De son côté, l’équipe médicale assistée d’un interprète (civil qui s’est porté volontaire) a pu prendre en charge environ 300 personnes (adultes, enfants, bébés, personnes âgées), pour nettoyage de plaies, réfection de pansements, mise sous antibiotiques (pour prévenir les infections) et traitement de la douleur. De plus, dans ce genre de catastrophe, la plupart de la population souffre de stress post-traumatique (insomnie, hypervigilance, somatisation…). L’écoute soignante est primordiale, et malgré la barrière de la langue, il est possible de rassurer par des gestes doux, un sourire, un regard bienveillant…

Pour accomplir ces missions, le CMS-USAR s’est déplacé dans divers quartiers de Katmandou, mais également en périphérie, ainsi que dans des villages de montagne isolés. 
Nous avons également été sollicités pour organiser une session de formation aux premiers secours et conduite à tenir en cas de nouveau séisme (qui s’est probablement révélée utile, car trois jours après notre retour la terre avait de nouveau tremblé). Cette matinée a été très appréciée par la population qui a afflué.

Enfin pour la dernière soirée, nous avons partagé un repas typique de la région avec nos fixeurs, interprètes, et l’ensemble des personnes qui nous ont aidés tout au long de ces 10 jours, et qui ont contribué au bon déroulement de nos actions. C’est un moment privilégié de détente et de convivialité qui signe la fin de la mission, dont le point final sera réellement donné après le débriefing dans l’avion. 
Malheureusement, tandis que le Népal pansait ses plaies encore à vif, et que les gens vivaient toujours dans des abris de fortune, est venue par la suite la saison de la mousson, déversant des pluies diluviennes.

Ce que je n’oublierai jamais, c’est l’extrême générosité de la population. Je me souviens d’une journée à Harisiddhi (village situé en périphérie de Katmandou). Nous avions scindé l’équipe médicale en deux, et les SAR étaient sur un chantier à quelques mètres. C’était le jour de ravitaillement des habitants, il faisait très chaud, et alors que je prenais des constantes (tension, température…) et récoltais des informations sur le motif de consultation (assistée par un jeune du village qui me traduisait en anglais), un autre garçon nous a apporté une bouteille d’eau gazeuse bien fraîche. Et des exemples comme celui-ci, j’en ai d’autres : le dernier jour, nous étions à travailler tous ensembles avec l’armée sur un chantier de sécurisation. Un de nos sauveteurs présentant des signes de déshydratation s’est senti mal, et de suite on nous a mis à disposition un tapis pour l’allonger. Un peu plus tard, alors que nous faisions une pause, des femmes avaient préparé du thé pour tout le monde, l’occasion de partager quelques mots, des sourires avec les enfants…
Malgré le drame qui les a frappés (certains ont perdu des enfants, des proches, leur maison…), les gens étaient calmes et bienveillants. Je crois que c’est ce qui m’a le plus touchée.


Images : Corps Mondial de Secours
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