[Portait] Davide Berruti, responsable formation chez INTERSOS

Pour ce premier portrait de l’année, rencontre avec Davide Berruti, Responsable formation chez INTERSOS, une ONG italienne basé à Rome. INTERSOS est une organisation humanitaire indépendante, qui travaille principalement dans les urgences humanitaires et donne secours aux victimes de guerre, des violences et de désastres naturels en offrant des services pour couvrir les besoins primaires.

Bonjour Davide ! Depuis quand avez-vous commencé à travailler dans la solidarité internationale ?

J’ai débuté tout de suite après mon diplôme. C’était en 1996, j’avais 24 ans. A cette époque, j’étais au Soudan, un pays unique où régnait la guerre entre le Sud et le Nord. L’Indépendance du Sud fut proclamée 17 ans plus tard.

Et quel souvenir souvenir gardez-vous de cette première expérience ?

Je me souviens de tout. Je me souviens d’un pays sinistré, primitif. Il n’y avait pas d’infrastructures, il n’y avait rien. J’ai travaillé dans un village au milieu de la nature, dans la plus grande pauvreté. Dans l’hôpital, beaucoup de personnes mouraient de faim ou arrivaient dans des conditions désastreuses, et beaucoup ne survivaient pas. Je me souviens aussi de la guerre. Elle avait un fort retentissement sur nos activités, selon les mouvements des troupes armées par exemple. Tout le pays était esclave de cette guerre qui faisait rage depuis plusieurs décennies.

Tout cela m’a beaucoup fait réfléchir : c’était ma première mission en Afrique, dans l’humanitaire. J’étais très jeune et je me suis beaucoup interrogé sur l’utilité des aides humanitaires et de leurs impacts sur le conflit. J’ai particulièrement observé l’incapacité de la communauté internationale à changer les choses. Quand on est jeune, on pense qu’aider c’est facile. Mais en fait, j’étais dans une situation qui me dépassait, avec des milliers des personnes qui mouraient autour de moi. Mon aide n’était qu’une goutte dans un océan. Tout ceci m’a donné une sensation d’impuissance et de frustration. De ce constat, j’ai décidé de ne plus travailler dans le secteur humanitaire. Alors, pendant une quinzaine d’années, j’ai œuvré à la construction de la paix dans les pays en guerre.

Par la suite, avec plus de maturité et une approche différente, je suis retourné dans l’humanitaire. Je n’avais plus cette volonté naïve de « sauver le monde », et seul, d’avoir un impact dans des conflits géopolitiques, historiques et économiques. J’avais une approche beaucoup plus humble. De plus, l’aide humanitaire a commencé à s’auto-évaluer et à apprendre de ses erreurs. Bien sûr, il y avait toujours un besoin de travailler en urgence et d’amener de l’aide, mais nous prenions en compte les dynamiques du terrain et impliquions la population locale. J’ai donc décidé de rester dans le secteur humanitaire. J’ai finalement trouvé un autre type de satisfaction personnelle et professionnelle.

Si j’ai bien compris, vous avez passé presque 15 ans dans la consolidation de la paix dans des pays en conflit ?

Oui, je suis parti avec différentes associations italiennes, en intervenant sur les droits de l’homme et la paix. Grâce à un réseaux actif, j’ai mené des projets de coopération décentralisée. Les projets les plus signifiants pour moi ont été au Kosovo et à Chypre : on avait mis en œuvre des nouvelles formes de dialogue entre la société civile des parties en conflit. Pendant plusieurs années, nous nous sommes focalisés sur la réconciliation et le dialogue. Ces expériences ont contribué à la recherche de nouvelles stratégies et à des réflexions sur la consolidation de la paix. Ces dernières sont devenues des bases pour l’enseignement que j’ai prodigué. En effet, je me suis impliqué dans le développement et l’enseignement de la consolidation de la paix. J’ai ainsi adapté un parcours de formation pour les travailleurs humanitaires, en particulier, ceux chargés de la médiation dans des pays en conflit. Pendant tout ce temps, j’étais aussi beaucoup impliqué dans la promotion des droits de l’homme : des Kurde en Turquie, des Palestiniens dans les Territoires Occupés, ou encore des victimes des Farcs en Colombie. Pendant ces 15 années, l’autonomisation de la société civile était le cœur de mon travail à travers le développement de nouvelles techniques de consolidation de la paix et de formations adaptées.

Une de mes prérogatives est aussi d’apporter une aide au développement personnel du staff : aider les personnes dans leur carrière, à identifier des objectifs qui leur permettent de grandir professionnellement.

En 2011, je voulais retourner à l’étranger. Je suis parti avec INTERSOS au Sud Soudan. Là-bas, je me suis de nouveau immergé dans un environnement de guerre pendant un an. Ensuite, j’ai passé un an en Jordanie quand la guerre en Syrie a commencé et une autre année en République Centre Africaine. Aujourd’hui, à INTERSOS, je suis formateur et responsable des formations. Je pars très souvent sur le terrain, partout dans le monde, pour former nos équipes. Une de mes prérogatives est aussi d’apporter une aide au développement personnel du staff : aider les personnes dans leur carrière, à identifier des objectifs qui leur permettent de grandir professionnellement. Pour les formations, mes thématiques sont liées aux compétences transversales : dynamique de groupe, team building, management, etc. Je suis souvent invité en dehors d’INTERSOS, dans d’autres institutions humanitaires pour enseigner des activités humanitaires généralistes : logistique, sécurité, cycle du projet, etc.

Quelles études avez-vous fait ?

J’ai fait un parcours universitaire humanistique qui m’a surtout préparé à la rencontre des cultures différentes, à l’analyse des dynamiques sociale et culturelle, sans aspect technique. Je suis satisfait de mon parcours et d’avoir développé la capacité de comprendre et analyser les différents contextes. Mon diplôme universitaire était très général. Je me suis donc spécialisé en gestion de projet avec une forte expérience managériale. Pour moi, de plus en plus, le monde humanitaire a besoin de ces compétences managériales et de savoir naviguer dans un monde complexe. Parce qu’il ne devrait plus être permis d’envoyer sur le terrain des personnes, probablement avec un bon cœur, mais sans ces compétences. Le monde de la solidarité internationale a de l’espace pour le volontariat, mais il nécessite également des professionnels pour maintenir une qualité optimale.

Quel conseil donneriez-vous à une personne qui veut se lancer dans la solidarité internationale ?

Mon conseil : avoir une idée claire du secteur ou des compétences que vous voulez développer. Cherchez à comprendre la valeur ajoutée que vous allez apporter à un projet. La motivation de voyager n’est pas suffisante, même si voyager est fascinant. J’entends souvent des jeunes dire : « Ah, j’aimerais aller en Afrique ». Super ! Mais pourquoi l’Afrique a besoin de toi ? Que vas-tu lui apporter ?

Les compétences spécifiques ont toujours de la valeur comme la médecine tropicale, la logistique, etc. Mais les compétences transversales aussi, et je prends mon exemple : je suis un manager qualifié dans la gestion des groupes de cultures différentes, des Pakistanais, aux Nigériens en passant par les Italiens. Gérer des groupes si hétéroclites est difficile, même si les membres sont animés par la même passion. Le besoin en compétence managériale est important. Il faut, aussi, savoir développer une bonne capacité d’adaptation parce que les conditions de vie sont très difficiles. C’est important de savoir contrôler son stress.

Après toutes ces expériences, quelles sont vos plus grandes satisfactions ?

Généralement, les résultats du travail humanitaire ne sont souvent pas perceptibles. Parfois, surtout dans des situations d’urgences extrêmes, comme la distribution d’eau, on a un impact direct. Mais « toucher » avec les mains notre bienfait… Moi, je le vois surtout quand je pars du terrain. Pendant une mission, nous travaillons avec le staff national et, parfois, on vit avec eux. Ils apprennent et on apprend, on arrive à instaurer une relation forte et, aussi, de profondes amitiés. Quand un travailleur de l’humanitaire finit sa mission après 6 mois, 1 an ou 2 ans, le départ est marqué par quantité d’expressions d’affection, qui permet de comprendre que notre travail a laissé quelque chose de bien. Et ceci est une grande source de satisfaction.

Quels souvenirs de vos expériences voudriez-vous nous partager ?

Surtout pour nous autres, les Italiens, mais généralement pour tout le monde, le plaisir culinaire est très important. Dans tous les endroits où se trouve un projet, il y a des cuisiniers, et normalement, quand ils commencent à travailler, ils ne connaissent pas la cuisine italienne. Quand je suis allé au Sud Soudan, j’ai embauché notre cuisinière, et pour son premier jour, j’ai demandé des spaghettis. Elle a pris la casserole remplie d’eau et elle a commencé à rompre les spaghettis ! « Non Grace ! Il ne faut pas faire ça ! », « Mais ils sont trop longs », m’a-t-elle répondu. Aujourd’hui, Grace travaille toujours avec nous et sa spécialité sont les spaghettis à la viande hachée et aux légumes locaux. Elle est une cuisinière fantastique. Ces épisodes de la vie quotidienne sont typiques et merveilleux. Quelques années plus tard, j’ai offert à Grace un rouleau à pâtisserie. Dans notre rouleau à pâtisserie, les poignées tournent. Mais dans celui du Sud Soudan, non, c’est juste un long bâton ! « Mais Davide, ce rouleau est cassé ! Les poignées tournent ! », m’a dit Grace. On apprend toujours des différences culturelles, et ça, c’est un plaisir !

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