Pour son ouverture, Echo Solidaire a souhaité aborder une thématique particulière et un des défis de l’humanitaire aujourd’hui : l’empowerment féminin.
Cet article de réflexion dresse un état des lieux de la perception de l’empowerment féminin dans les actions de solidarité internationale, notamment lorsqu’elles sont pilotées par les Etats. Il constitue le premier volet d’une réflexion plus précise sur les enjeux de l’autonomisation politico-économique des femmes.
Le droit des femmes, une préoccupation majeure
Depuis le début du XXIème siècle, les gouvernements des pays développés, les organisations internationales et l’Organisation des Nations Unies[1] accordent, dans leurs approches économiques et politiques, une considération particulière au développement des droits des femmes, leur autonomisation et l’égalisation de leurs conditions avec celles des hommes.
Cette préoccupation est particulièrement perceptible dans les Objectifs du Millénaires du Programme des Nations Unies pour le Développement[2], qui consacrent comme caractéristique du développement des Etats et des populations « l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ». En liant cet objectif à celui de l’égalisation des conditions socio-économiques entre les Etats, le PNUD établie un lien, non seulement entre le bien-être des populations et l’égalisation des droits entre hommes et femmes, mais aussi entre cette dernière et la croissance économique ; bien que cette relation soit essentiellement perçue dans le sens selon lequel la croissance économique nationale et internationale doit permettre la fin des discriminations basées sur le genre.
Cette préoccupation pour les droits des femmes est relativement récente puisque ce n’est qu’en 1945 que les Nations Unies ont adopté une charte établissant des principes généraux d’égalité entre les sexes[3]. Depuis lors, de nombreux textes onusiens ont précisés les objectifs spécifiques permettant de réaliser ces principes et les moyens de leur donner corps. On peut citer, par exemple, la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée Générale de l’ONU en 1979. De même, la quatrième conférence mondiale de Pékin de 1995 ayant abouti à une déclaration et un programme d’action pour l’autonomisation sociale, économique et politique des femmes[4], fait également figure d’avancée internationale en matière de lutte contre les discriminations basées sur le genre. En effet, c’est cette conférence qui consacre la notion d’empowerment féminin et la présente comme une stratégie-clé du développement.
L’objectif de « promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes », arrive en troisième position.
Toutefois, depuis que la problématique des droits et des capacités des femmes est devenue centrale dans les politiques internationales de développement ; l’empowerment féminin a été largement perçu comme une fin et non un moyen. En effet, s’il existe de nombreux ouvrages et projets mettant en avant que les moyens permettant l’autonomisation des femmes sont générés par le développement économique – comme l’éducation, l’accès aux soins, la sécularisation – il en existe peu sur l’existence d’un cercle économique vertueux reposant sur l’empowerment féminin et permettant le développement des sociétés dans leur ensemble[5]. Cette approche linéaire plutôt que dynamique s’illustre dans l’analyse des objectifs du millénaire des Nations Unies. En effet, l’objectif de « promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes », arrive en troisième position, après « l’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim » et de « l’éducation primaire pour tous ». Il en va de même pour les objectifs du développement durable adoptés en 2015 par l’Organisation des Nations Unies, qui s’axent sur l’éducation, la santé, la protection et le développement économique, pour parvenir à des contextes favorables permettant l’autonomisation des femmes.
Cette approche apparaît fondée puisque les situations de détresse économique des populations favorisent le maintien des organisations sociales traditionnelles, lesquelles reposent souvent sur une distribution des rôles sociaux selon le genre.
Une certaine réticence
La conception de la place des femmes dans la société ne repose pas uniquement sur des intérêts économiques, mais également sur des représentations des rôles fondées sur la religion, des croyances philosophiques ou traditionnelles. Enfin, au-delà des socles économiques et idéologiques, il apparaît que les institutions politiques et les groupes sociaux qui reposent sur une domination masculine manifestent souvent une certaine réticence au partage du pouvoir économique et politique avec les femmes. Cette réticence est ainsi qualifiée « d’inertie des structures sociales traditionnelles [6]» par le sociologue et ethnologue Georges Balandier qui relève qu’il existe une « force d’inertie de certains rapports sociaux et de comportements [7]» dans les sociétés traditionnelles ; notamment lorsque ceux-ci constituent « l’armature du système traditionnel [8]».
De fait, l’approche consistant à permettre l’émancipation des femmes par le développement économique apparait comme la plus facile dans la mesure où les acteurs sociaux seront plus réceptifs à l’amélioration des conditions de vie générées par le développement économique qu’à des changements radicaux dans leurs conceptions des rôles sociaux, dont les effets positifs ne sont pas nécessairement compréhensibles par l’ensemble de la population. Ainsi, cette stratégie choisie par les principales institutions internationales et nationales visant au développement repose sur la croyance que le développement économique et l’amélioration des conditions de vie permettent mécaniquement l’autonomisation des femmes et l’égalisation des droits de manière générale.
L’article suivant se proposera de déconstruire cette croyance. A suivre sur Echo Solidaire.
[1] ONU
[2] PNUD
[3] Rémi Barroux, « La marche paradoxale des femmes vers l’émancipation », Le Monde, http://www.lemonde.fr/demographie/article/2015/01/12/une-marche-paradoxale-vers-l-emancipation-des-femmes_4554683_1652705.html, Mars 2015
[4] Ibid3
[5] Cf. M. Olivier Compagnon, Directeur de l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine, Paris Sorbonne
[6]Georges Balandier, « Structures sociales traditionnelles et changements économiques », Cahiers d’études africaines, http://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1960_num_1_1_2935, 1960, Volume 1, n° 1, p 13
[7] Ibid 6
[8] Ibid 7