La mise en œuvre de l’empowerment féminin dans les actions de Solidarité Internationale : déconstruction des concepts.

Dans le précédent article de cette série, nous avons dressé un rapide bilan de l’évolution de la compréhension de la notion d’empowerment féminin.

Nous avions conclu sur le fait que la stratégie de baser l’empowerment féminin sur un renforcement économique, choisie par les principales institutions internationales et nationales, repose sur la croyance que le développement économique et l’amélioration des conditions de vie permettent mécaniquement l’autonomisation des femmes et l’égalisation des droits de manière générale.

 

Les relations homme-femme reposent sur des considérations irrationnelles

Si accorder la priorité au développement économique, technologique et des connaissances des populations est un choix stratégique compréhensible ; les faits révèlent que ce modèle ne permet pas la réalisation optimale des objectifs du développement durable.

En effet, il a déjà été évoqué plus haut que la répartition des rôles sociaux selon le genre ne repose pas uniquement sur des considérations économiques ou d’éducation, mais également sur des concepts irrationnels et donc insusceptibles d’être influencés simplement par l’amélioration des conditions de vie. Le Professeur Georges Balandier relève à ce titre – mais de manière générale et non spécifique à l’évolution des rôles sociaux selon le genre – que bien qu’il existe « un rôle décisif des transformations économiques entant que facteur de changement social [1] », celles-ci se heurtent systématiquement à « des modèles sociaux si valorisés qu’ils se maintiennent en dépit de leur inadéquation à la situation actuelle[2] ». Cette inertie des sociétés traditionnelles concernant la place qu’elles accordent aux femmes, en dépit des améliorations économiques, peut être illustrée par l’exemple de l’Iran.

 

Empowerment féminin en Iran

Dans ce pays les avancées de la scolarisation féminine ont été particulièrement spectaculaires depuis les années 1990. Aussi bien dans les villes que dans les campagnes, le niveau d’instruction scolaire des filles n’a cessé de se rapprocher de celui des garçons et les jeunes générations de femmes urbaines l’ont même légèrement dépassé. En outre, depuis 2000, le nombre d’étudiantes s’est sensiblement approché de celui des étudiants, pour le dépasser dès la rentrée 2002-2003. Mais, malgré ces progrès, le marché du travail en Iran est encore aujourd’hui largement fermé aux femmes. Le système économique fondé essentiellement sur la rente pétrolière et soutenu par une vision patriarcale de la société, ne crée pas suffisamment d’emplois et écarte, en premier lieu, la moitié féminine du monde du travail, suivant la division traditionnelle entre sphère sociale et sphère familiale. La redistribution de la rente pétrolière, sous forme de subventions d’Etat sur les produits de consommation courante, a également contribué à l’allègement des dépenses des ménages, permettant ainsi à ces derniers de se contenter d’un seul salaire. De fait, les taux d’activité économique des Iraniennes restent parmi les plus faibles dans les pays du Maghreb, du Moyen et Proche-Orient. Mais depuis le début des années 1980, la part des subventions de l’Etat s’est réduite et, par conséquent, le pouvoir d’achat des ménages également. Désormais, certaines femmes, surtout des classes les moins favorisées, sont poussées à travailler. Ainsi, bien qu’entre 1996 et 2006, la croissance de la population active féminine ait été très rapide, avoisinant les 6,2 % par an ; le taux de chômage des femmes reste près de deux fois supérieur à celui des hommes en Iran, en culminant à 23 % entre 1986 et 2006[3].

De fait, dans la mesure où l’Iran connait un développement économique et un croissance importante chaque années, il apparaît que la conception selon laquelle le développement économique entraîne mécaniquement l’autonomisation des femmes est erronée.

 

La vision des Institutions Internationales

Le développement étant considéré comme un processus qui élargit l’éventail des possibilités offertes aux individus en s’intéressant à la richesse des vies humaines au lieu de se limiter à la richesse économique des pays[4], il ne peut être apprécié uniquement sous un aspect économique. En effet, le Plan des Nations Unies pour le Développement (PNUD) établie un lien direct entre l’implication dans la société par le travail, les activités associatives et politiques et la richesse de la vie humaine[5].  Ainsi, bien que l’Indice de Développement Humain d’un Etat soit mesurable sur la base du Produit Intérieur Brut par habitants, du taux de scolarisation et de l’espérance de vie de sa population, celui-ci ne permet pas de rendre pleinement compte du niveau de développement véritable de ce dernier. Cette inadéquation entre la conception qu’a le PNUD de la notion de développement et les outils utilisés pour le mesurer illustre encore l’insuffisance de la conception mécanique liant améliorations de conditions matérielles de vie et autonomisation de l’ensemble de la population.

Ainsi, bien que l’Indice de Développement Humain d’un Etat soit mesurable sur la base du Produit Intérieur Brut par habitants, du taux de scolarisation et de l’espérance de vie de sa population, celui-ci ne permet pas de rendre pleinement compte du niveau de développement véritable de ce dernier.

Cette autonomisation peut être traduite par le concept anglo-saxon d’empowerment qui correspond à un accroissement des avoirs et des capacités des personnes dans le but de leur permettre de mieux participer, négocier, influencer, maîtriser et responsabiliser les institutions ayant une influence sur leurs vies[6]. Cet accroissement des capacités à influencer son environnement social et politique est aussi appeler « augmentation du pouvoir d’agence ».

Cette autonomisation repose donc sur des capacités politiques, juridiques et économiques lesquelles sont étroitement liées les unes aux autres. La compréhension de ces interactions est ce qui a conduit les institutions internationales et nationales de développement à considérer le développement économique comme moteur de l’empowerment féminin et donc à rechercher la création de cercles vertueux en ce sens. En effet, cette notion économique de « cercle vertueux » doit être comprise comme un enchaînement circulaire de mécanismes économiques, sociologiques, socioculturels ou politiques créant et entretenant des effets favorables sur une économie ou une société. Ainsi, en retenant que l’amélioration des conditions de vie sur des bases économiques et matérielles constitue un contexte favorable à l’évolution des structures traditionnelles et donc à l’autonomisation des femmes, laquelle entraîne l’amélioration de leurs propres conditions de vie de nature à assurer leur autonomie, les institutions précitées ont bien pour objectif la création de tels mécanismes économiques.

Toutefois, il a été démontré précédemment que cette thématique de l’empowerment féminin est appréciée comme une finalité du cercle vertueux et non un point de départ de celui-ci.

Il est évident que l’accès à un revenu autonome et donc à l’emploi est une des composantes essentielles de l’empowerment féminin. De plus, les femmes représentent une force de travail considérable à l’échelle mondiale, ce que nous essayerons d’illustrer dans le prochain article.

Images: Pixabay


1-2 | Georges Balandier, « Structures sociales traditionnelles et changements économiques», Cahiers d’études africaines, http://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1960_num_1_1_2935, 1960, Volume 1, n° 1, p 2
3 | Thomas Kubler, « Etude de gouvernance de l’Iran », Université de Droit D’Aix-en-Provence, Institut d’Etudes Humanitaires Internationales, 2016
4 | Selim Jahan, « Rapport sur le développement humain 2015 », Programme des Nations Unies pour le Développement, http://hdr.undp.org/sites/default/files/2015_human_development_report_overview_-_fr.pdf, 2015
5-6 | Deepa Narayan, « Empowerment and poverty reduction : a source book», Banque Mondiale, http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/827431468765280211/pdf/multi0page.pdf, 2002

 

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