Histoires de migrants

A l’occasion de la journée mondiale des migrants, Echo Solidaire a souhaité mettre en avant le témoignage de 4 migrants, rencontrés dans les camps de Samos et Athènes, en Grèce.
En utilisant des noms d’emprunt, nous avons choisi de donner un écho particulier aux témoignages d’Amed, Francis, Rhama et Safi; 4 histoires bouleversantes, 4 périples hors du commun.

Amed

« Je suis très fâché. » Ahmed est Kurd. Il est originaire d’Iran. Depuis quelques mois, il est arrivé en Grèce. Depuis quelques mois, il est fâché : « ici on vit très mal, ça pue, il y a des ordures partout. Le soir, pleins de rats se baladent et on se fait mordre, regardez ! » Ahmed relève sa manche : de petites cicatrices sont présentes sur son avant-bras. En plus de ces potentielles morsures de rats, Ahmed présente des scarifications.

« La douleur de ces plaies n’est rien comparée à ce que je vis, à ce que nous vivons ici. Ils nous donnent à peine un repas par jour, et quasiment tous les jours la même chose ». Le stress et l’inquiétude d’Ahmed sont palpables. Il n’arrive pas à tenir assis sur sa chaise.

« Je ne dors plus la nuit, c’est trop difficile. Ici, c’est la catastrophe totale. Il n’y a pas assez de toilettes pour tout le monde, ni de douches, et même pas assez d’eau. Ils nous donnent une bouteille par jour, juste assez pour boire, mais t’oublies ton hygiène personnelle ! Les gens n’utilisent quasiment jamais les toilettes car elles sont dans des conditions déplorables : malodorantes et très sales… depuis que je suis là, personnellement, je n’ai jamais vu quelqu’un nettoyer ces toilettes. Tout le monde cherche une place en plein air, mais nous sommes trop donc c’est aussi un problème. La nuit, je dors sur une palette en bois. C’est pour ça que je ne dors pas, et ça m’occasionne des douleurs au dos. Ma petite tente en plastique est très chaude la journée, et trop froide la nuit. De plus, nous sommes quatre à dormir dedans ».

« Dites-moi comment peut-on bien vivre dans ces conditions ». Ahmed change de discussion et nous raconte l’Iran, son pays natal, sa famille et les difficultés de son peuple, les Kurdes. Ahmed n’arrive toujours pas à s’assoir tranquillement et il bouge tout le temps.

« Il ne faut pas traiter les personnes comme ça, on n’est pas du bétail ! Le système ne fonctionne pas, rien ne fonctionne. Même quand t’es malade, on ne t’aide pas. Imaginez quand mon ami était malade, il toussait beaucoup, il a dû attendre deux jours avant que quelqu’un ne lui dise de partir, car de toute façon, ils n’allaient rien faire. Heureusement, une petite ONG n’était pas loin, et ils ont soigné mon ami. Mais ça vous semble normale ça? Il faut presque être mort pour avoir un peu d’attention et des soins. »

« J’ai pris la pire décision de ma vie en venant ici. J’espère pouvoir m’échapper de cette île horrible, je ne résisterai pas longtemps… On est des milliers dans la même situation. J’ai trouvé deux amis. Je pense qu’on ne va pas tarder à partir ».

Rhama

La famille Rhama est arrivée en Grèce depuis presque un an. L’ainée des enfants âgée de 8 ans a un regard coquin, sa mère me raconte qu’en ce moment elle n’arrête pas de lui désobéir. Le petit garçon de 3 ans quant à lui somnole tranquillement dans sa poussette, son père m’explique qu’il est très fatigué en raison d’un gros rhume dont il sort à peine.

Cette jeune famille vient d’Afghanistan. Pour communiquer avec eux j’ai dû recourir à un traducteur qui parle Dari, une des langues de ce pays montagneux.

« Il y a presque un an, ma femme et moi avons décidé de quitter notre pays, pour nous la situation était devenue insupportable et insoutenable. Dans notre petite ville (dans la province de Parwan, au nord de Kaboul), on ne sait pas ce que nous réserve le futur, pour nos enfants, vous comprenez ? Quel avenir mes enfants vont-ils avoir dans un pays comme l’Afghanistan? »

« La guerre chez nous n’est jamais finie, et va probablement continuer encore des années et des années. Je ne veux pas que mes enfants connaissent la guerre. C’est pour ça qu’on est partis. D’abord on a pris un bus pour arriver à la frontière iranienne, jusque-là le voyage s’était bien passé. Un seul bagage, j’ai pris tout mon argent, mon père ainsi que la famille de ma femme m’en ont donné aussi. Ma famille et moi sommes commerçants, nous possédions une petite boutique de quartier, rien de plus, mais c’était suffisant ». 

Le père me raconte leur dangereux périple en regardant de temps en temps ses enfants, c’est difficile de comprendre ce qu’il ressent.

« A l’arrivée en Iran, ma famille et moi avons dû emprunter différents moyens de transport. Parce qu’on avait des enfants, nous avons eu plus de chance que d’autres qui ont fuit seuls ou en couples. Certains d’entre eux ont dû traverser l’Iran à la marche ! Mais comme je l’ai dit, le fait d’avoir des enfants touche le cœur des gens… on a voyagé surtout dans des camions, avec très peu d’eau et de nourriture à disposition, les enfants ont vraiment souffert. »

« Arrivés à la frontière turque, j’ai payé un passeur… » « Combien avez-vous payé ? » « Trop, je vous dis, j’ai tout vendu chez moi : mon commerce, ma maison et ma voiture. Heureusement j’ai eu la chance d’avoir cet argent pour moi et ma famille. Les passeurs ça coûte cher… »

« Une fois en Turquie, on a dû attendre presque un mois avant de pouvoir traverser la mer. A peine la frontière franchie, j’avais déjà deux contacts de passeurs pour partir en Grèce. C’est un business, un commerce comme les autres. Le jour J on vient te chercher, il faut prendre un bus bondé de gens, pour approcher la côte, ce n’est pas facile. Tout le monde avait peur de se faire arrêter par la police et de finir en prison. Je le redis, j’ai eu la chance d’avoir des enfants, peu de personnes nous ont dérangés ou causé des problèmes. Mais les hommes et femmes seuls eux… ils finissent en prison sans raison ! En Turquie on a vécu dans un squat, avec majoritairement des familles afghanes, les jeunes préfèrent rester à la capitale, pour essayer de trouver du travail. Mais moi je ne voulais pas rester en Turquie. Trop dangereux et on n’est pas les bienvenus. »

« Quelle angoisse la nuit sur le bateau, trop petit et trop chargé, je ne sais même pas combien on était. Ma femme avait très peur, elle ne sait pas nager, moi non plus. On avait peur pour nos enfants. Heureusement nous avons atteint la côte grecque, il faisait encore nuit. »

Le père me raconte leur nouvelle vie depuis que la famille Rhama est arrivée en Grèce, leurs difficultés d’insertion, l’insécurité, un futur incertain et la perte d’espoir.

 

« J’ai un cousin en Allemagne, j’espère que l’on pourra le rejoindre un jour, l’important c’est que mes enfants soient en bonne santé et grandissent loin de la guerre… »

Francis

Francis vient du Cameroun, où l’homosexualité n’est pas acceptée et où la répression contre cette minorité sexuelle est très forte. « Malheureusement, j’ai subi pas mal de violences, physiques et verbales. » Francis commence à me raconter son histoire. Il ne me regardera jamais vraiment dans les yeux.

« Depuis assez jeune, j’ai compris que j’étais, d’une certaine manière, diffèrent. Un jour, j’ai avoué à ma mère mes pensées… Si seulement j’avais su avant ce qu’y allait se passer. Sa réaction a été des plus violentes, je ne l’avais jamais vu dans cet état : elle commença à me frapper et à dire que je ne méritais pas d’être son fils. Le choc initial passé, elle m’a dit qu’une personne pourrait me guérir de ce mal. ». L’émotion dans la voix de Francis est très palpable.

 

« Ma mère m’a amené chez un médecin pour me guérir de ce mal qui était en moi. A cette époque, je ne savais pas si le médecin était vraiment un docteur, ou juste un praticien traditionnel ou, encore, un charlatan. Le médecin m’a prescrit des médicaments et je fus enfermé dans une chambre totalement isolée du reste de sa maison. Pendant environ deux semaines, je n’ai pu sortir : pas de douche ni de lit ; de temps en temps un peu de riz ; pas de possibilité de sortir pour faire mes besoins. J’étais comme en prison. En plus de ces conditions terribles, ce médecin m’insultait tout le temps, comme s’il voulait me faire changer d’idée. Je suis sorti très éprouvé de cette chambre. J’ai pu rentrer, mais avec la consigne donnée à ma mère de me garder sous surveillance. Pour moi, il n’y a eu aucune différence sur mon état. Avant de retourner chez ce médecin, j’ai fui ma maison. J’avais 17 ans. »

 

« Je suis allé dans une plus grosse ville, à une centaine de kilomètres de mon village natal. Ici, l’anonymat était meilleur, même si pas vraiment assuré. J’ai pu trouver un petit travail dans un petit resto, et là j’ai rencontré quelqu’un comme moi ».

Francis n’a jamais croisé mon regard et continue de parler la tête en bas.

 

« Je ne sais pas si c’était de l’amour, mais on était similaire et on a affronté des situations quasiment identiques. Notre, si je peux l’appeler comme ça, relation a perduré presque 2 ans dans l’illégalité totale. On a fait très attention. Mais un jour tout a changé : la police débarqua dans notre chambre et les policiers commencèrent à nous frapper. Ils nous criaient : « Vous êtes honteux ! Faut vous tuer ! ». A un moment donné, j’ai pensé que j’allais mourir. Ils nous prirent et nous amenèrent dans une espèce de prison. La violence que j’ai subie là-bas fut atroce. Une violence physique et verbale pendant quasiment 2 mois de suite. »

Francis présente différentes cicatrices et des brûlures sur le corps.

 

« Ils me battent, ils me brulent, ils m’insultent et me prennent toute ma dignité… J’ai tout perdu, même mon ami, qui a été finalement tué. Mais je veux tout oublier. »

 

« Pour une raison qu’y m’est inconnue, une personne qui travaillait dans la prison, m’a fait échapper : il ne m’a rien dit, seulement de courir. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas ce geste. Mais j’ai couru. Arrivé à la capitale, j’ai rapidement pris contact avec d’autres gens qui voulaient quitter le pays, chacun avec ses propres raisons. Moi, je n’ai pas dit la vérité, je me suis promis de ne jamais la dire. Après avoir récolté assez d’argent (de manière pas tout à fait légale), j’ai pris l’avion pour la Turquie. J’ai cru laisser les mauvaises choses au Cameroun, mais je me suis trompé ».

Francis de temps en temps fait une pause, pour reprendre son souffle ou juste pour, peut-être, organiser ses pensées.

« À peine arrivé en Turquie, je suis déjà en prison, encore. Ils m’ont frappé, encore. Ils m’ont traité comme une bête, encore. J’ai passé quasiment un mois en prison, puis, j’ai été libéré. Comme plein d’autres africains en Turquie, on s’organise pour pouvoir arriver en Europe : trouver de l’argent et une opportunité. Une nuit, ma chance a tourné et j’ai pu partir pour la Grèce. J’ai cru que tous mes problèmes seraient résolus, mais en fait, encore une fois, je me suis trompé… »

« C’est clair : je suis très content d’être arrivé en Europe, mais j’ai passé des moments très difficiles. Je ne me suis pas senti accueilli. J’étais le nième refugié qui arrivait, pour eux, toujours avec la même histoire. Je n’ai pas voulu toute suite parler des violences subites et de mon homosexualité ; en y repensant, ça aurait été mieux de le faire… parce qu’en ce moment, la vie est très difficile pour moi. Maintenant, s’il-vous-plait, guérissez-moi de l’homosexualité, j’en ai marre d’être agressé ».

 

Francis n’a pas raconté cette histoire tout d’un coup. Il aura fallu plusieurs moments avec lui pour découvrir son histoire. Francis fait partie des nombreux refugiées maintenant « illégaux ». Il a quitté le camp de transit car il y était persécuté à cause de son homosexualité. Les autorités ne le croient pas. Aujourd’hui, il vit dans la rue, dans des squats.

Safi

Pour beaucoup des femmes, la grossesse est un évènement heureux. Mais pas pour Safi. Safi est jeune, très jeune et est déjà mère de 3 enfants. « Je suis sûre que j’aimerais mon enfant, mais là ce n’est pas le moment, mon mari est malade ».

Safi nous raconte son histoire en nous regardant droit dans les yeux. Elle semble fière et très forte. « Mon mari ne va pas bien, il a la dépression… Surtout ces deux derniers mois, il était toute la journée au lit. Des fois, il semblait presque mort. C’est moi qui dois l’amener à la douche et lui donner à manger, sinon il ne fait rien. »

Safi est syrienne, en Europe depuis 2 ans, elle fait partie d’une des familles chanceuses ayant reçu un appartement et un soutien financier de la part des UN.

« Je suis contente de ne plus être dans un camp. Les conditions de vie là-bas étaient terrifiantes. Bien sûr, notre appartement n’a rien à voir avec notre maison en Syrie, mais au moins, on a notre petit espace. On a une seule chambre puis un petit salon avec une cuisine microscopique… mais c’est toujours mieux que le camp. Les enfants dorment dans la chambre. Mon mari et moi dormons sur le canapé. Même si c’est dur, je suis contente de pouvoir donner un espace à mes enfants. »

 Safi nous dit que c’est une amie qui garde les enfants « comme je l’ai dit, mon mari est trop malade… C’est pour ça que je pense arrêter ma grossesse : ce n’est pas le bon moment. Je suis sûre que mon mari sera fâché, mais il n’est pas encore au courant de ma grossesse. Peut-être un jour, quand il ira mieux, on pourra faire un autre enfant. »

Safi change de discussion et nous parle de ses enfants « qui ressemblent tous à la famille de mon mari ». Elle nous confie avoir trouvé un psychologue auprès d’une ONG. Demain elle doit y amener son mari. « J’espère que ça va marcher, mon mari parle beaucoup généralement, là, il dit à peine bonjour aux enfants. C’est très dur pour eux de voir leur papa absent… ils ont toujours adoré jouer avec lui. Mon mari en plus était toujours très attentif à passer du temps avec eux. »

« Je ne sais pas si c’est notre passé en Syrie, avec la guerre qui a frappé très fort nos vies, ou notre nouvelle vie ici en Europe… dans tous les cas, mon mari est très touché par cette situation. Aussi, je pense qu’avoir perdu son rôle en tant que chef a joué sur son morale ».

« Je ne suis pas fâchée contre mon mari pour sa dépression, mais c’est dur sans son support. C’est pour cela que je veux interrompe ma grossesse, ce n’est pas le bon moment. »

 

Safi a arrêté sa grossesse et a pu amener son mari chez le psychologue.

Illustrations : Elips

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